- Et tout s’est arrêté…
- Ce monde lancé comme un bolide dans sa
course folle, ce monde dont nous savions tous qu’il courait à sa perte
mais dont personne ne trouvait le bouton « arrêt d’urgence », cette
gigantesque machine a soudainement été stoppée net. A cause d’une toute
petite bête, un tout petit parasite invisible à l’œil nu, un petit
virus de rien du tout… Quelle ironie ! Et nous voilà contraints à ne
plus bouger et à ne plus rien faire. Mais que va t-il se passer après ?
Lorsque le monde va reprendre sa marche ; après, lorsque la vilaine
petite bête aura été vaincue ? A quoi ressemblera notre vie après ?
- Après ?
- Nous souvenant de ce que nous aurons vécu
dans ce long confinement, nous déciderons d’un jour dans la semaine où
nous cesserons de travailler car nous aurons redécouvert comme il est
bon de s’arrêter ; un long jour pour goûter le temps qui passe et les
autres qui nous entourent. Et nous appellerons cela le dimanche.
- Après ?
- Ceux qui habiteront sous le même toit,
passeront au moins 3 soirées par semaine ensemble, à jouer, à parler, à
prendre soin les uns des autres et aussi à téléphoner à papy qui vit
seul de l’autre côté de la ville ou aux cousins qui sont loin. Et nous
appellerons cela la famille.
- Après ?
- Nous écrirons dans la Constitution qu’on ne
peut pas tout acheter, qu’il faut faire la différence entre besoin et
caprice, entre désir et convoitise ; qu’un arbre a besoin de temps pour
pousser et que le temps qui prend son temps est une bonne chose. Que
l’homme n’a jamais été et ne sera jamais tout-puissant et que cette
limite, cette fragilité inscrite au fond de son être est une
bénédiction puisqu’elle est la condition de possibilité de tout amour.
Et nous appellerons cela la sagesse.
- Après ?
- Nous applaudirons chaque jour, pas seulement
le personnel médical à 20h mais aussi les éboueurs à 6h, les postiers à
7h, les boulangers à 8h, les chauffeurs de bus à 9h, les élus à 10h et
ainsi de suite. Oui, j’ai bien écrit les élus, car dans cette longue
traversée du désert, nous aurons redécouvert le sens du service de
l’Etat, du dévouement et du Bien Commun. Nous applaudirons toutes
celles et ceux qui, d’une manière ou d’une autre, sont au service de
leur prochain. Et nous appellerons cela la gratitude.
- Après ?
- Nous déciderons de ne plus nous énerver dans
la file d’attente devant les magasins et de profiter de ce temps pour
parler aux personnes qui comme nous, attendent leur tour. Parce que
nous aurons redécouvert que le temps ne nous appartient pas ; que Celui
qui nous l’a donné ne nous a rien fait payer et que décidément, non, le
temps ce n’est pas de l’argent ! Le temps c’est un don à recevoir et
chaque minute un cadeau à goûter. Et nous appellerons cela la patience.
- Après ?
- Nous pourrons décider de transformer tous
les groupes WhatsApp créés entre voisins pendant cette longue épreuve,
en groupes réels, de dîners partagés, de nouvelles échangées,
d’entraide pour aller faire les courses où amener les enfants à
l’école. Et nous appellerons cela la fraternité.
- Après ?
- Nous rirons en pensant à avant, lorsque nous
étions tombés dans l’esclavage d’une machine financière que nous avions
nous-mêmes créée, cette poigne despotique broyant des vies humaines et
saccageant la planète. Après, nous remettrons l’homme au centre de tout
parce qu’aucune vie ne mérite d’être sacrifiée au nom d’un système,
quel qu’il soit. Et nous appellerons cela la justice.
- Après ?
- Nous nous souviendrons que ce virus s’est
transmis entre nous sans faire de distinction de couleur de peau, de
culture, de niveau de revenu ou de religion. Simplement parce que nous
appartenons tous à l’espèce humaine. Simplement parce que nous sommes
humains. Et de cela nous aurons appris que si nous pouvons nous
transmettre le pire, nous pouvons aussi nous transmettre le meilleur.
Simplement parce que nous sommes humains. Et nous appellerons cela
l’humanité.
- Après ?
- Dans nos maisons, dans nos familles, il y
aura de nombreuses chaises vides et nous pleurerons celles et ceux qui
ne verront jamais cet après. Mais ce que nous aurons vécu aura été si
douloureux et si intense à la fois que nous aurons découvert ce lien
entre nous, cette communion plus forte que la distance géographique. Et
nous saurons que ce lien qui se joue de l’espace, se joue aussi du
temps ; que ce lien passe la mort. Et ce lien entre nous qui unit ce
côté-ci et l’autre de la rue, ce côté-ci et l’autre de la mort, ce
côté-ci et l’autre de la vie, nous l’appellerons Dieu.
- Après ?
- Après ce sera différent d’avant mais pour
vivre cet après, il nous faut traverser le présent. Il nous faut
consentir à cette autre mort qui se joue en nous, cette mort bien plus
éprouvante que la mort physique. Car il n’y a pas de résurrection sans
passion, pas de vie sans passer par la mort, pas de vraie paix sans
avoir vaincu sa propre haine, ni de joie sans avoir traversé la
tristesse. Et pour dire cela, pour dire cette lente transformation de
nous qui s’accomplit au cœur de l’épreuve, cette longue gestation de
nous-mêmes, pour dire cela, il n’existe pas de mot.
Pierre Alain LEJEUNE, prêtre à Bordeaux -
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